
Favoriser la santé mentale en ville grâce aux lieux de rencontre
02.04.2025
santé mentale - lien social - tiers-lieux
L'article
L'article
Nous vivons dans un monde en perpétuel mouvement, où les villes, bien que synonymes d'opportunités et richesse culturelles, deviennent aussi le lieu de profondes fragilités sociales et psychiques. La question de la santé mentale est aujourd'hui un enjeu majeur, et force est de constater que les phénomènes d'isolement, d'anxiété et de dépression ne cessent de croître.
Or, la manière dont nous concevons nos villes joue un rôle central dans cette dynamique. L'urbanisme, l’habitat, les espaces publics et la manière dont ils favorisent ou entravent les interactions sociales ont un impact direct sur la santé mentale des citadins. Le besoin de créer et de favoriser des espaces de rencontre et de "faire ensemble" se pose donc avec une acuité grandissante. Car si l'isolement peut fragiliser les individus, à l'inverse, un urbanisme bien pensé peut être une véritable ressource protectrice.
Aujourd'hui, je vous propose d'explorer ensemble les constats alarmants que nous faisons sur la fragilisation de la santé mentale en milieu urbain, avant de montrer comment la conception des espaces publics et de vie peut constituer une réponse efficace et pérenne.
1. Constat : Une santé mentale fragilisée, un isolement croissant
Dans les grandes villes, les problèmes de santé mentale sont en augmentation. Le stress, la pression professionnelle, la densité urbaine et la précarité en sont souvent les causes. Mais un facteur supplémentaire, aggravant, a joué un rôle considérable ces dernières années : la crise du COVID-19.
Les confinements successifs ont été une épreuve pour tous, et ils ont particulièrement affecté deux catégories de population : les jeunes et les personnes âgées.
- Chez les jeunes, le sentiment de solitude a explosé. Selon une étude de la Fondation de France, 62 % des 18-24 ans déclarent s'être sentis seuls régulièrement depuis la pandémie. La fermeture des universités, la disparition des interactions sociales spontanées et l'augmentation de l'usage des écrans ont contribué à une hausse de la dépression et des idées suicidaires dans cette tranche d'âge.
- Chez les seniors, l'isolement s'est aggravé avec la limitation des visites et la peur du virus. Le dernier baromètre des Petits Frères des Pauvres indique que 530 000 personnes âgées en France vivent dans une situation de "mort sociale", c'est-à-dire sans aucun lien régulier avec leur entourage ou la société.
Par ailleurs, au-delà de la crise sanitaire, nous assistons à une diminution progressive des lieux de socialisation gratuits. Les cafés, les bibliothèques et les centres communautaires disparaissent ou deviennent payants, excluant de fait les populations les plus précaires. Les espaces publics sont trop souvent pensés de manière fonctionnaliste, sans prise en compte des besoins sociaux et psychologiques des citoyens.
2. Les conséquences de l'isolement social
Cet isolement social entraîne des conséquences dramatiques, à la fois sur le plan individuel et collectif.
À l'échelle individuelle
- L'isolement accroît les troubles anxieux et dépressifs.
- Il est un facteur de risque pour la détérioration cognitive chez les personnes âgées.
- Il a un impact physique : les personnes isolées ont un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires et de mortalité prématurée.
À l'échelle sociétale
- L'isolement a un coût élevé pour les systèmes de santé. L'augmentation des troubles psychiques entraîne une hausse des consultations, des hospitalisations et des prescriptions médicamenteuses.
- Il affaiblit la cohésion sociale et renforce les inégalités.
3. L'urbanisme et la création d'espaces propices au lien social
Pour contrer ces phénomènes, il est primordial de repenser nos villes et nos espaces publics en les rendant plus propices aux rencontres et aux interactions sociales. Cela peut passer par :- Des espaces publics accessibles et inclusifs : Des espaces publics aménagés, non genrés et favorisant la conversation, des espaces de jeux pour les enfants, des équipements et des aménagements visant à favoriser des activités collectives en plein air (terrain de sport, pétanque, barbecue, tables de pique-nique…).
- Des lieux partagés en pied d'immeuble : Ces espaces, tels que des salles communes polyvalentes, des cuisines collectives ou des jardins partagés, jouent un rôle clé dans la vie de quartier. À titre d’exemple, Récipro-Cité accompagne plus d’une trentaine de résidences intergénérationnelles en France et autant d’espaces partagés, les Maisons des Projets, favorisant la rencontre et le bien-être des résidents, mais aussi des riverains qui participent aux activités régulières. Nous avons mené une mesure d’impact social auprès de centaines de bénéficiaires et voici ce qui en ressort :
o Se sentir entouré : 81% des bénéficiaires ont l’impression d’être plutôt entouré
o Faire partie d’un groupe : 65% des bénéficiaires ont le sentiment de faire partie d’un groupe
o Se sentir reconnu : 62% des bénéficiaires ont le sentiment d’apport quelque chose de positif à la vie de la résidence ou du quartier.
- Des tiers-lieux au cœur des quartiers et des territoires : des cafés solidaires, des fab-lab, des friches urbaines réhabilitées en espaces associatifs sont des exemples de lieux qui ne sont pas forcément du domaine public mais où les citoyens peuvent se rencontrer et collaborer. En France, ce sont plus de 3 500 tiers-lieux qui ont émergé ces dernières années, créant des espaces d’échange et de partage pour des publics variés.
4. Le rôle des professionnels et de la médiation urbaine
Mais notre retour d’expérience nous démontre que la création de ces espaces ne suffit pas : ils doivent être conçus, animés et accompagnés par des professionnels formés.
En amont des projets, les urbanistes et architectes doivent intégrer les enjeux de santé mentale dans la conception des espaces. L’urbanisme transitoire, qui favorise des interventions temporaires pour tester l’usage des espaces (ex : espace de friche urbaine dédié ) permet d’évaluer l’intérêt des habitants et l’impact potentiel sur le territoire.
Des espaces dédiés à la participation doivent être pensé « par » et « pour » les futurs usagers. Pour cela, il convient de systématiquement les associer dès les phases de conception à travers des questionnaires, des entretiens individuels et/ou des ateliers d’intelligence collective pour identifier leurs envies et besoins.
Enfin, les animateurs sociaux et médiateurs ont un rôle clé à jouer dans l’impact positif de ces espaces de socialisation :
Enfin, les animateurs sociaux et médiateurs ont un rôle clé à jouer dans l’impact positif de ces espaces de socialisation :
- En impulsant la dynamique collective à la livraison
- En offrant un cadre sécurisé et bienveillant favorisant le volet inclusif
- En assurant un rôle de médiation en cas de conflit
- En repérant les situations de détresse et en accompagnant les plus fragiles vers des structures spécialisées
Il est évident que les collectivités et les pouvoirs publics ont un rôle clé à jouer en soutenant ces initiatives et en finançant des dispositifs adaptés aux besoins locaux.
Conclusion
Lutter contre l'isolement et favoriser la santé mentale en ville passe par un urbanisme repensé et la création d'espaces propices aux rencontres. La ville doit être un lieu de vie et non une source de stress et de solitude. Il est urgent d'agir pour rendre nos espaces urbains plus humains et inclusifs.
À travers des initiatives concrètes, nous pouvons transformer nos espaces publics en lieux de bien-être et de cohésion sociale, où chacun trouve sa place et peut s’épanouir. C’est en pensant la ville comme un espace de rencontre et de partage que nous construirons un avenir plus solidaire et plus sain pour tous.