La solidarité intergénérationnelle en Allemagne
28.05.2024
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Rédigé par Valentine Bienassis. Photo Jonathan Kemper. Illustration Romains Blais.
Le vieillissement de la population touche toute l’Europe depuis une vingtaine d’années. Signe d’une meilleure espérance de vie, ce phénomène n’en reste pas moins le témoin d’une chute du taux de natalité dans beaucoup de pays.
Le vieillissement de la population touche toute l’Europe depuis une vingtaine d’années. Signe d’une meilleure espérance de vie, ce phénomène n’en reste pas moins le témoin d’une chute du taux de natalité dans beaucoup de pays.
L’Allemagne a été affectée bien plus tôt que ses voisins puisque dès les années 70, son solde démographique est devenu négatif. Si bien qu’aujourd’hui, le taux de natalité de l’Allemagne est l’un des plus faibles du monde, tandis que la part de personnes âgées ne cesse d’augmenter. La France connaît également un vieillissement important de sa population et tend à rattraper sa voisine, mais présente un des taux de natalité les plus élevés d’Europe.
En France, comme en Allemagne, ce vieillissement entraîne de nouveaux besoins tels que l’accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie, dans un contexte de restrictions budgétaires et alors que les dépenses publiques de santé augmentent avec l’âge. L’enjeu est alors de prodiguer aides et soins aux seniors, tout en leur permettant de rester chez eux, le plus longtemps possible et en bonne santé.
Pour cela, la solidarité intergénérationnelle apparaît comme une solution adéquate, en particulier lorsqu’elle s’exprime au sein d’habitats collectifs réunissant toutes les générations avec ou sans liens familiaux. D’un côté, les jeunes générations veillent sur leurs aînés et leur apportent un soutien dans les tâches quotidiennes ; de l’autre, les seniors aident les jeunes parents en s’occupant des enfants et retrouvent un sentiment d’utilité sociale.
En Allemagne, cette solidarité entre les générations a d’abord été imaginée et mise en œuvre par des citoyens désireux de pallier certaines carences des politiques sociales et familiales.
Des habitats communautaires à l’émergence des premiers projets intergénérationnels
L’habitat intergénérationnel allemand trouve ses racines dans les projets d’habitats communautaires (gemeinschaftlisches Wohnen) des années 70. Ces habitats sont développés dans un contexte de pénurie de logements.
Au début, essentiellement portés par de jeunes sans ressource ni travail, ils n’ont pas vocation à être intergénérationnels mais constituent de nouvelles expériences de vivre ensemble, notamment pour faire face au manque de logements abordables. Les « squatteurs » (Hausbesetzer) occupent le plus souvent des immeubles insalubres abandonnés par leurs propriétaires et destinés à être détruits pour être remplacés par des immeubles neufs aux loyers élevés.
Ces projets d’habitats communautaires défendent une vision résolument anticapitaliste, reposant sur l’échange de services, voire de biens, et une auto-gestion.
Au début, essentiellement portés par de jeunes sans ressource ni travail, ils n’ont pas vocation à être intergénérationnels mais constituent de nouvelles expériences de vivre ensemble, notamment pour faire face au manque de logements abordables. Les « squatteurs » (Hausbesetzer) occupent le plus souvent des immeubles insalubres abandonnés par leurs propriétaires et destinés à être détruits pour être remplacés par des immeubles neufs aux loyers élevés.
Ces projets d’habitats communautaires défendent une vision résolument anticapitaliste, reposant sur l’échange de services, voire de biens, et une auto-gestion.
Après la chute du mur de Berlin en 1989, l’arrivée massive d’Allemands de l’Est recherchant un emploi à l’Ouest aggrave la pénurie de logements. Les familles, notamment de l’ex-RFA, s’intéressent donc aux habitats communautaires qui leur permettent de se loger et d’élever leurs enfants ensemble. Les personnes âgées se tournent aussi vers ce mode d’habitat afin d’éviter la solitude ou de devoir aller en maison de retraite. Nés de cette culture de l’habitat communautaire, les premiers projets d’habitat intergénérationnel voient ensuite progressivement le jour. Principalement d’initiatives citoyennes, ils placent le principe de solidarité entre les générations au cœur du projet partagé. Depuis l’après-guerre et jusqu’aux années 2000, le gouvernement fédéral allemand mène très peu de politiques familiales. Les aides, essentiellement mises en œuvre dans les années 90, sont davantage financières que structurelles et visent à limiter l’écart de niveau de vie entre les personnes sans enfant et les familles. L’État joue donc un rôle subsidiaire, ce qui explique que les politiques familiales concernent principalement les foyers modestes. Elles sont délibérément neutres, par exemple, à l’égard du nombre d’enfants. Le but est d’éviter toute immixtion dans la sphère familiale, comme ce fût le cas des politiques natalistes menées sous le Troisième Reich et en RDA.
De fait, les politiques familiales menées par l'État allemand depuis près de soixante-dix ans n'ont pas permis de favoriser l'emploi des femmes, les solutions de garde d'enfants n'étant que peu développées. Les femmes qui travaillent sont directement impactées avec une carrière hachée par la naissance de leur(s) enfant(s). Leur évolution professionnelle ainsi freinée, elles ne disposent que de peu de revenus une fois à la retraite. Dès les années 70, des groupes de femmes se réunissent donc au sein de « béguinages » (Beginenhof). Ces habitats communautaires, autogérés non-mixtes, rassemblent des femmes de tous âges autour d’un projet commun de solidarité intergénérationnelle entre jeunes mères célibataires et femmes âgées. Chacune dispose de son propre logement mais des espaces communs sont prévus pour les activités et la prise de décision.
Les maisons des générations au cœur des politiques sociales allemandes
Sur le même principe, les maisons des générations (Mehrgenerationhaüser) sont « des lieux où se rencontrent et s’entraident toutes les générations, au sein d’espaces communs entourés d’espaces verts, comprenant éventuellement des commerces et offrant divers services et activités ». Développées dans les années 80, à l’initiative de citoyens, parfois réunis en association ou en coopérative, ces maisons présentaient à l’origine une dimension habitat avec des logements.
Néanmoins, le programme fédéral des maisons des générations, lancé par le gouvernement en 2006, en occultera rapidement cette dimension. En effet, les financements fléchés dans ce programme, et les suivants, s’adressent uniquement à des personnes morales de droit public ou de droit privé à but non-lucratif, telles que des communes, des structures sociales, des associations ou des églises. Les projets deviennent alors essentiellement portés par des structures davantage institutionnelles ne pouvant gérer que du logement locatif. Or, les conservateurs allemands encouragent, notamment par l’octroi de subventions, l’accession à la propriété. Ainsi, les 540 maisons des générations financées par le programme fédéral deviennent uniquement des lieux de vie et de passage et non de résidence.
Fort de son succès, le gouvernement fédéral lance en 2012 un second programme, renouvelé en 2017 puis en 2021 et qui, de même que le premier, subventionne chaque maison pour ses dépenses de fonctionnement (personnel, matériel et équipement) pendant une durée de cinq ans. Les maisons des générations doivent ensuite être capables de s’auto-financer. Ce dispositif vise le développement de nouvelles maisons tout en encourageant la Selbsthilfe que l’on pourrait traduire par auto-assistance, bien qu’elle s’inscrive dans une solidarité mutuelle entre les générations. L’idée est d’aider les personnes à s’aider elles-mêmes. Ce concept s’inscrit dans la droite lignée du principe de subsidiarité : l’État n’intervient qu’en dernier recours et seulement le temps que la personne puisse « s’auto-aider ». Dans le cadre du programme des maisons générations, cela signifie que L’État soutient financièrement les porteurs de projets jusqu’à ce que le projet soit autofinancé. La priorité est souvent donnée aux associations ou aux initiatives citoyennes (Bürgerinitiativen) pour développer de nouveaux projets.
L’important financement de ces initiatives s’accompagne d’une réduction des aides financières destinées aux foyers modestes. Le gouvernement fédéral a également mis un terme aux politiques de solidarité intergénérationnelle engagées dans les années 90 et qui reposaient sur la notion de vieillissement actif. Ces programmes promouvaient la formation continue pour les personnes âgées et la transmission intergénérationnelle dans les écoles. Le bénévolat des seniors était aussi encouragé, notamment par un service volontaire intergénérationnel (Generationübergreifende Freiwilligendienst) mis en œuvre entre 2005 et 2008. Ces dispositifs étaient très coûteux et demandaient beaucoup d’investissements de la part des personnes âgées.
A contrario, les maisons des générations du programme fédéral deviennent de véritables acteurs économiques favorisant la réinsertion professionnelle et coopérant avec les entreprises locales. Les partenariats développés prennent des formes diverses, allant des dotations ponctuelles aux échanges de services. Par exemple, le jardin d’enfants d’une maison intergénérationnelle peut accueillir les enfants des salariés d’une entreprise qui participent à son financement. Ces relations favorisent également une réflexion conjointe sur l’articulation entre travail et famille. Cependant, cette dimension résolument économique des maisons des générations peut aller à l’encontre de la philosophie des premiers projets fondés sur le bénévolat et les services réciproques.
La solidarité intergénérationnelle allemande : citoyenne et culturelle
Les projets de solidarité intergénérationnelle se sont considérablement développés en Allemagne depuis le tournant des années 2000. Leur franc succès tient au fait que ces projets parviennent à satisfaire en un seul lieu les besoins de toutes les générations, là où les politiques sociales menées depuis l’après-guerre ont échoué. Les pouvoirs publics souhaitant interférer le moins possible dans la vie des citoyens, les dispositifs d’aides sociales sont donc très réduits et purement financiers, ce qui tend à limiter leur efficacité.
On observe ainsi, en parallèle, en Allemagne, une forte culture de la solidarité citoyenne tenant à la fois à la religiosité de sa population et à la nécessité de compenser les carences des politiques familiales et de logement. À l’inverse, en France, des politiques sociales volontaristes sont adoptées dès la deuxième moitié du XIXe siècle, visant à venir en aide aux « nécessiteux ». Ces politiques correspondent à une logique d’assistance et les aides sociales reposent sur un système de redistribution des revenus.
Autrement dit, là où en Allemagne les personnes doivent s’auto-assister tant au sens d’une assistance à soi-même que d’une assistance mutuelle ; en France, les pouvoirs publics octroient un certain nombre d’aides et de prestations sociales financées par chaque citoyen proportionnellement à ses revenus. La solidarité s’exprime donc au travers des dispositifs institutionnels davantage que par des initiatives citoyennes.
On observe ainsi, en parallèle, en Allemagne, une forte culture de la solidarité citoyenne tenant à la fois à la religiosité de sa population et à la nécessité de compenser les carences des politiques familiales et de logement. À l’inverse, en France, des politiques sociales volontaristes sont adoptées dès la deuxième moitié du XIXe siècle, visant à venir en aide aux « nécessiteux ». Ces politiques correspondent à une logique d’assistance et les aides sociales reposent sur un système de redistribution des revenus.
Autrement dit, là où en Allemagne les personnes doivent s’auto-assister tant au sens d’une assistance à soi-même que d’une assistance mutuelle ; en France, les pouvoirs publics octroient un certain nombre d’aides et de prestations sociales financées par chaque citoyen proportionnellement à ses revenus. La solidarité s’exprime donc au travers des dispositifs institutionnels davantage que par des initiatives citoyennes.
Significativement, tandis que l’accent est plus spontanément placé en Allemagne sur les relations solidaires entre familles (mères…) et personnes âgées, les regards se sont plutôt tournés en France vers la solidarité entre les jeunes (jeunes adultes, étudiants) et les personnes âgées.
Dans un pays comme dans l’autre, l’action publique est toutefois caractérisée par une forte segmentation des politiques en fonction des domaines et des publics concernés, peinant parfois à répondre efficacement aux besoins de la population. En ce sens, en marge de toute institutionnalisation, les associations, et la société civile en général, jouent un rôle-clé, notamment pour mettre en lien les différents publics et leurs besoins… et pour faire émerger les initiatives de demain.